Pourquoi c'est bon de dire merci - Janvier 2021 - de la Gratitude

 Janvier 2021 - de la Gratitude

 

 

 

 

Pourquoi c'est bon de dire merci

Savoir se montrer reconnaissant envers les autres est la base d’un bon lien social. Mais paradoxalement, c’est aussi le meilleur moyen de vous faire du bien, de chasser la dépression, de trouver un meilleur sommeil et de rester en bonne santé !

Corinna Hartmann|  03 décembre 2020|

La gratitude, exprimée par exemple dans une lettre de remerciements, a de multiples bienfaits sur l'humeur et la santé mentale.

Aujourd’hui, aucune catastrophe naturelle ne s’est produite, aucun ami n’est mort et il n’a même pas plu : c’est peut-être ainsi qu’un stoïcien de l’Antiquité aurait résumé sa journée. Il y a près de 2 000 ans, les représentants de cette école de pensée gréco-romaine, qui compte Sénèque et Épictète parmi ses plus illustres membres, ont mis au point une recette sophistiquée pour être heureux dans la vie : quoi qu’il arrive, préparez-vous au pire ! Si cela se produit, vous serez moins déçu que l’optimiste, et dans le cas contraire, vous serez soulagé et joyeux. C’est l’une des nombreuses façons de prendre conscience des bienfaits de l’existence.

Entre le stress au bureau, les déclarations d’impôts et les heures de pointe, il est facile de les oublier. Mais même dans les mauvais jours, la plupart d’entre nous avons beaucoup de raisons d’être reconnaissants. Or un nombre croissant d’études indiquent que ceux qui s’en aperçoivent sont plus satisfaits dans la vie, ont des relations plus épanouissantes, souffrent moins de dépression, d’addiction ou de burn-out et sont mieux à même d’affronter les coups du sort.

La gratitude, c’est bon pour la santé !

Selon des recherches récentes, comme celles menées par Paul Mills, de l’université de Californie à San Diego, auprès de personnes cardiaques, la gratitude est même bonne pour la santé. Plus ces personnes se sentent reconnaissantes envers les bonnes choses qui leur arrivent, moins elles sont déprimées, mieux elles dorment, plus elles ont confiance en elles pour gérer leur maladie et moins elles ont de marqueurs inflammatoires – qui accroissent les problèmes cardiaques – dans leur sang. De plus en plus d’éléments suggèrent que la gratitude n’est pas seulement la conséquence de meilleures conditions de vie, mais aussi sa cause, entraînant directement une plus grande satisfaction et des avantages pour la santé.

Si l’homme est capable d’éprouver de la reconnaissance, c’est probablement parce que cela constitue un avantage évolutif. Ceux qui savent gré aux autres d’une faveur reçue sont plus susceptibles de la rendre, une réciprocité qui a peut-être renforcé les liens sociaux chez nos ancêtres. Aujourd’hui encore, la gratitude favorise l’altruisme. Elle réduit également l’agressivité, crée un sentiment d’appartenance et nous aide à construire des relations avec nos congénères. Contrairement à la culpabilité, qui nous pousse simplement à rendre aux autres à peu près autant que ce que l’on a reçu, la gratitude semble globalement accroître la volonté de leur faire du bien.

Les philosophes, les ethnologues et les spécialistes des sciences sociales s’intéressent depuis longtemps à ce sentiment complexe. La psychologie, en revanche, n’en a fait un objet de recherche qu’il y a une vingtaine d’années. Tout a commencé avec la naissance d’un nouveau courant : la psychologie positive, dont le psychologue américain Martin Seligman fut le pionnier. Seligman devint célèbre grâce à ses recherches sur « l’impuissance apprise », qui montraient que les personnes placées dans l’incapacité de se soustraire d’une mauvaise situation de manière répétée abandonnent finalement tout effort en ce sens – même si des ouvertures se présentent pour s’en sortir. Seligman a découvert ce mécanisme d’apprentissage, sans doute impliqué dans le développement de la dépression, lors d’expériences sur des chiens. Quand les animaux reçoivent des décharges électriques désagréables auxquelles ils ne peuvent échapper, certains d’entre eux développent des symptômes dépressifs. Si on leur propose ensuite une issue de secours, ils ne saisissent plus l’occasion.

Se concentrer sur les forces plutôt que sur les faiblesses

En 1997, Seligman a été élu président de l’Association américaine de psychologie. Deux ans s’occupe des côtés joyeux de la psyché humaine plutôt que de ses défaillances. L’idée lui serait venue suite à une remarque de sa fille : d’humeur joviale, l’enfant de 5 ans l’avait traité de « grincheux » pendant qu’il jardinait. Que se passerait-il, s’est alors demandé le psychologue, si nous cultivions nos forces naturelles plutôt que de chercher sans cesse à corriger nos supposées faiblesses ?

 


Avec son collègue Mihaly Csikszentmihalyi, il élabore alors le concept de psychologie positive. Les deux chercheurs développeront des tests et questionnaires pour mesurer les traits de personnalité positifs, ainsi que des interventions pour les promouvoir et des études pour comprendre la façon dont ils se forment tout au long de la vie. Ils souhaitent ainsi donner une nouvelle orientation à la psychologie. En analysant les principaux ouvrages de philosophie et les écritures saintes des religions du monde entier, ils dégagent 24 forces de caractère communément admises, qu’ils regroupent en six vertus : sagesse, courage, humanité, justice, modération et transcendance. Ce dernier trait comprend l’appréciation de la beauté, l’espoir, l’humour, la spiritualité et la gratitude. Encore aujourd’hui, la promotion de la gratitude est partie intégrante de la formation au bonheur en psychologie positive.

Cette approche a parfois été critiquée dans les milieux professionnels. Certains doutaient que ses questionnaires répondent aux critères de qualité scientifique et dénigraient les méthodes de recherche employées. D’autres lui trouvaient même des traits sectaires : « Cette approche consistant à persuader les gens ordinaires de passer des tests de personnalité et à leur proposer ensuite des textes psychologiques pour les aider à avoir une vie meilleure rappelle fatalement les pratiques de l’Église de scientologie », a déclaré Philipp Mayring, professeur émérite à l’université de Klagenfurt. Du côté des partisans de la jeune discipline, Anton-Rupert Laireiter, professeur aux universités de Salzbourg et de Vienne, affirme : « Je ne vois pas la psychologie positive comme une concurrence à la psychologie clinique, qui s’occupe du traitement des troubles, mais plutôt comme un complément utile. Partout où elle est appliquée scientifiquement, elle est justifiée. »

De quoi suis-je reconnaissant ?

Les premières recherches analysant l’effet de la gratitude sur la santé mentale ont été concomitantes à l’essor de la psychologie positive. En 2003, les Américains Robert Emmons, de l’université de Californie à Davis, et Michael McCullough, de l’université de Miami, ont publié une série d’études pionnières. Dans l’une d’elles, ils ont divisé les participants – tous des étudiants – en trois groupes, qu’ils ont chargés d’une tâche précise à réaliser une fois par semaine pendant deux mois et demi. Les membres du premier groupe devaient écrire cinq choses dont ils étaient reconnaissants, comme la générosité d’un ami, la musique de leur groupe préféré ou le simple cadeau d’un nouveau jour à vivre. Le deuxième groupe a quant à lui été invité à noter cinq éléments désagréables : la recherche fastidieuse d’une place de parking, le manque d’aide dans les tâches ménagères, les soucis d’argent… Enfin, les membres du troisième groupe devaient consigner par écrit les expériences qui les avaient influencés d’une manière ou d’une autre, en bien ou en mal.

Grâce à des questionnaires hebdomadaires, les chercheurs ont évalué l’humeur des participants, ainsi que leur bien-être physique et leur satisfaction globale dans la vie. Résultat : les membres du groupe de gratitude étaient plus satisfaits que les autres. Ils étaient aussi plus optimistes quant à l’avenir, faisaient plus de sport et souffraient moins de problèmes physiques tels que des maux de tête, des vertiges ou des tensions musculaires. Cependant, tous les bienfaits espérés ne se sont pas produits, car l’exercice de gratitude n’a pas changé l’ampleur des émotions positives et négatives éprouvées dans la vie quotidienne.

Dans une deuxième expérience, les psychologues ont donc augmenté la dose. Certains des sujets devaient désormais tenir quotidiennement un journal de gratitude, tout en évaluant leur propre bien-être. D’autres ont à nouveau été chargés de décrire les désagréments rencontrés, tandis qu’un troisième groupe effectuait une tâche de comparaison sociale : ses membres devaient lister les situations qu’ils avaient mieux gérées que les autres. Au bout de deux semaines, les bienfaits de la gratitude étaient manifestes : les participants qui s’y étaient exercés étaient ceux qui reportaient le plus d’émotions positives, même s’il n’y avait toujours pas de différence dans l’ampleur des émotions négatives. Ils avaient en outre plus souvent offert un soutien psychologique ou une aide pratique à leurs congénères que les membres des deux autres groupes.

Comme les étudiants étaient tous jeunes et en bonne santé, McCullough et Emmons se sont interrogés sur le potentiel de la gratitude pour aider ceux qui sont plus exposés à la souffrance. Ils ont donc recruté des patients atteints de maladies neuromusculaires chroniques pour une troisième expérience. Ils ont demandé à la moitié d’entre eux de tenir un journal de gratitude tous les soirs pendant trois semaines, tandis que les autres ne devaient évaluer que leur bien-être. Les évaluations ont alors montré que les patients ayant cultivé leur gratitude avaient ressenti plus de sentiments positifs et moins de négatifs que ceux du groupe témoin. En outre, ils étaient plus satisfaits de leur vie et plus confiants dans leur capacité à affronter les exigences de la semaine suivante ; ils se sentaient aussi plus connectés aux autres et dormaient mieux. Fait intéressant, les proches qui les assistaient au quotidien avaient également remarqué ces changements positifs.

 

Aussi importantes que ces premières expériences aient été pour le jeune domaine de la recherche sur la gratitude, les scientifiques doutent maintenant des résultats de certaines d’entre elles, en particulier des deux premières. Les tâches non neutres effectuées par les groupes témoin, qui conduisaient souvent les participants à se focaliser sur les aspects négatifs de leur vie, ont pu accroître, par contraste, les bienfaits perçus des journaux de gratitude. C’est pourquoi les chercheurs ont mis en place des expériences plus rigoureuses, dites « randomisées » et incluant une comparaison avec un placebo. La psychologue Leah Dickens, alors à l’université Northeastern de Boston, a analysé 38 études sur le sujet, publiées entre 2003 et 2016 et auxquelles ont participé plus de 5 000 personnes au total. Elle a constaté que s’exercer à la gratitude, par exemple via un journal ou une lettre de remerciement, améliore diverses mesures du bien-être, comme le bonheur, la satisfaction dans la vie, l’humeur ou le niveau de dépression. Certains de ces bienfaits étaient toujours visibles des mois plus tard, lors d’évaluations de suivi. L’amplitude des effets allait d’un niveau faible à moyen, ce qui est déjà remarquable pour des interventions aussi simples et pratiquement gratuites, note la chercheuse.

Les bienfaits d’une lettre de remerciement

Tout le monde est heureux de recevoir un merci – que ce soit pour un travail effectué ou pour une faveur accordée. Cependant, nous omettons souvent de montrer notre reconnaissance aux autres, ou nous les remercions de façon si allusive qu’ils ne s’en aperçoivent pas vraiment. Voici donc un exercice qui vous donnera l’occasion d’exprimer réellement votre gratitude. Pensez à votre vie jusqu’à présent : quelles personnes – parents, enseignants, amis, collègues, thérapeutes… – ont été particulièrement bienveillantes envers vous ou vous ont offert leur soutien à des moments cruciaux ? Choisissez quelqu’un à qui vous aimeriez dire depuis longtemps qu’il a changé votre vie pour le meilleur. Puis écrivez-lui une lettre, en expliquant en détail ce qu’il vous a apporté. Et si vous l’osez : envoyez-la.

Les résultats obtenus par Amit Kumar et Nicholas Epley, de l’université de Chicago, montrent tous les bienfaits d’une telle démarche. Ces psychologues ont fait écrire et envoyer une lettre de remerciement à un panel d’étudiants, qui devaient en outre évaluer leur propre ressenti et imaginer celui de leur bienfaiteur à la lecture de la missive. Les destinataires ont également été contactés et interrogés sur leurs sentiments lorsqu’ils ont reçu la lettre. Résultat : les participants se sont sentis beaucoup mieux après cet exercice, et ils ont sous-estimé la joie et la surprise de la personne à qui ils avaient adressé leur mot. Il semble que nous craignions souvent – à tort – que ceux à qui nous exprimons notre gratitude soient mécontents ou embarrassés de ce type de révélation.

Source : A. Kumar et N. Epley, Undervaluing gratitude : Expressers misunderstand the consequences of showing appreciation, Psychological Science, 2018

Changer les schémas de pensée négatifs

En 2019, l’équipe de Hanna Heckendorf et Dirk Lehr, à l’université Leuphana de Lüneburg, se sont penchés plus spécifiquement sur les bienfaits de la gratitude chez les personnes souffrant de divers problèmes psychologiques, comme des symptômes anxieux ou dépressifs. Dans le cadre d’un programme en ligne de cinq semaines, les 260 participants de leur étude ont été entraînés à prendre conscience de leurs expériences positives. Il leur était demandé d’écrire régulièrement ce qui leur arrivait de bien et de photographier les moments heureux. Chaque soir, ils devaient s’immerger complètement dans le sentiment de gratitude en relisant leurs notes et en regardant les photos. Ils pouvaient aussi les envoyer à leurs amis et à leur famille, que ce soit pour les remercier ou tout simplement pour partager avec eux les joies du quotidien.

La comparaison avec le groupe témoin a révélé que le programme a sensiblement réduit les problèmes psychologiques des participants. Même six mois plus tard, l’effet était encore mesurable. L’anxiété et le niveau de dépression avaient diminué, tandis que les sujets étaient moins préoccupés par l’avenir et ruminaient moins le passé. Les chercheurs en concluent que la gratitude fonctionne principalement en changeant les schémas de pensée négatifs, qui jouent un rôle dans de nombreux troubles mentaux différents. Dirk Lehr est enthousiaste : « Les programmes de gratitude ont un potentiel équivalent à celui des méthodes d’autotraitement établies. Les exercices sont relativement faciles à mettre en œuvre et à intégrer dans une psychothérapie. »

L’équipe du psychologue Adam Geraghty, de l’université de Southampton, a également testé le potentiel de la gratitude comme outil d’autotraitement, via un programme en ligne. Ce dernier s’adressait aux personnes très insatisfaites de leur propre corps. Afin d’améliorer leur relation avec leur physique, les participants – pour la plupart des femmes – ont tenu soit un journal de gratitude, soit un carnet de « suivi et restructuration des pensées ». Ce dernier outil est couramment utilisé dans les thérapies cognitivo-comportementales, qui constituent l’étalon-or des traitements pour ce type de trouble. Le principe est de noter les pensées et les situations problématiques et, en même temps, de développer une vision moins négative de son apparence. Il s’est avéré que la gratitude a autant aidé les sujets à accepter leur corps que la thérapie cognitivo-comportementale. Les participants sont même allés deux fois plus souvent jusqu’à la fin du programme, sans doute parce qu’ils trouvaient les exercices plus amusants ou plus faciles que ceux des méthodes classiques.

Les exercices de gratitude semblent également améliorer les troubles du sommeil. Dans une étude publiée en 2011 par des chercheurs canadiens de l’université MacEwan, une partie des participants ont consigné par écrit des expériences qui leur inspiraient un sentiment de reconnaissance. D’autres ont été invités à noter leurs préoccupations avant de se coucher et à chercher des solutions pour éviter de partir dans des ruminations sans fin, tandis que d’autres encore ont fait un exercice d’imagination où ils se projetaient mentalement dans un endroit particulièrement beau. Au bout d’une semaine, la qualité du sommeil s’est améliorée dans les trois groupes. Les ruminations nocturnes étaient moins fréquentes qu’auparavant et les participants dormaient plus longtemps.

Le psychologue Anton-Rupert Laireiter est en tout cas convaincu du potentiel de ce sentiment : « En plus des journaux de gratitude, j’utilise aussi en psychothérapie des lettres où le patient exprime sa reconnaissance à une certaine personne ; avec de bons résultats », confie-t-il. Il cite l’exemple d’une patiente qui a écrit une lettre de ce type à sa mère, une très vieille dame avec laquelle elle avait une relation difficile. Celle-ci a été si touchée que les deux femmes se sont réconciliées.

Un risque d’effets secondaires

Une telle intervention n’est cependant pas toujours appropriée, notamment lorsque le patient est accusé d’ingratitude par ses parents et qu’il en souffre. En fait, la gratitude n’est pas une panacée qui convient à tout le monde. Les experts craignent que les personnes gravement déprimées ne se sentent encore plus mal si elles échouent à découvrir quelque chose de bien dans leur vie. Leur incapacité à ressentir de la joie pourrait alors leur imposer un fardeau encore plus lourd et les conduire à un certain autodénigrement. « En cas de dépression suicidaire, délirante et grave, la gratitude n’est pas recommandée », explique Dirk Lehr, de l’université Leuphana de Lüneburg. « Et même quand les symptômes sont plus légers, la pratique de la gratitude demande parfois un certain effort au début. Une fois les premiers obstacles surmontés, un changement positif est souvent mis en route. »

De même, dans le cas de patients traumatisés ou victimes de maladies physiques chroniques, il convient d’examiner attentivement si et quand une intervention de gratitude est appropriée. Il serait dangereux d’ignorer les sentiments négatifs et il faut veiller, lors de la thérapie, à accorder une place suffisante à l’écoute du désespoir et de la colère. Toutefois, lorsqu’elle est utilisée avec prudence, la gratitude peut également orienter l’attention vers le renforcement des ressources.

C’est pourquoi de plus en plus de psychothérapeutes incluent de tels exercices dans leur répertoire. Signe que le grand public commence à prendre conscience de l’importance de ce sentiment, les journaux de bonheur et de gratitude rencontrent un grand succès en librairie. Même si Dirk Lehr constate aussi une certaine réticence : « J’ai parfois l’impression que la gratitude est considérée avec scepticisme dans notre société individualiste, axée sur les réalisations. On préfère être l’architecte de son propre bonheur et ne pas s’avouer à soi-même que les autres ont participé à notre succès. » Car contrairement à un simple sentiment de joie ou de satisfaction, la gratitude implique de valoriser le rôle de l’autre. C’est peut-être pour cela qu’elle est aussi un antidote à la solitude et à l’égoïsme.

La gratitude dans les neurones

Quelles zones cérébrales sont responsables du sentiment de gratitude ? C’est la question qu’a examinée l’équipe d’Antonio Damasio, à l’université de Californie du Sud à Los Angeles. Les neuroscientifiques ont d’abord recueilli des histoires vraies de survivants de la Shoah secourus par un tiers, qui leur avait par exemple fourni des vêtements ou de la nourriture. Puis ils les ont présentées à un groupe de volontaires placés dans un appareil d’IRMf, en leur demandant de s’imaginer à la place de ces survivants et d’évaluer à quel point ils seraient reconnaissants envers leur sauveur dans cette situation. Les chercheurs ont observé que l’activité de leur cortex préfrontal médian était liée à leur degré de gratitude. Cette région appartient au système de récompense dans le cerveau et est impliquée dans les décisions morales et l’adoption du point de vue des autres.

En 2017, des psychologues dirigés par Ulrich Mayr, de l’université de l’Oregon, ont quant à eux cherché à savoir si l’entraînement à la gratitude laisse des traces dans les neurones. Pour ce faire, ils se sont penchés sur le circuit cérébral de la récompense, dont ils ont enregistré l’activité quand les participants recevaient de l’argent tantôt pour une œuvre de bienfaisance, tantôt pour eux-mêmes. La différence entre les deux constituait une mesure neuronale de l’altruisme, qui s’est de fait révélée prédictive du degré d’altruisme, mais aussi de gratitude, tels qu’évalués par les sujets eux-mêmes. Mayr et ses collègues se sont alors demandé si un entraînement à la gratitude changerait ce corrélat neuronal de la pensée et de l’action désintéressées. Pour le déterminer, ils ont divisé les sujets en deux groupes. Les membres du premier avaient pour mission de passer dix minutes chaque soir à noter les petites et grandes expériences des jours précédents ; ceux du second avaient une tâche identique, sauf qu’ils devaient cibler les expériences dont ils étaient reconnaissants.

Résultat : après trois semaines de ce régime, l’altruisme neuronal a davantage augmenté dans le groupe de gratitude que dans le groupe témoin. Les auteurs de l’étude concluent que la gratitude est associée à un altruisme accru. Tout se passe comme si ce sentiment poussait le système de récompense du cerveau à valoriser un bénéfice pour les autres plutôt que pour soi-même.

Source : G. R. Fox et al., Neural correlates of gratitude, Frontiers in Psychology, 2015 ; C. M. Karns et al., The cultivation of pure altruism via gratitude : A functional MRI study of change with gratitude practice, Frontiers in Human Neuroscience, 20174

 

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