Des chercheurs de l’université Harvard ont
découvert pourquoi le stress fait blanchir les cheveux. Des neurones
connectés aux poils coupent leur approvisionnement en pigment foncé !
Bénédicte Salthun-Lassalle
CERVEAU & PSYCHO N° 120
« Tu me donnes des cheveux blancs ! » ou « Je me fais des
cheveux blancs »… : des expressions que vous employez peut-être pour
signifier à quelqu’un qu’il vous stresse ou pour montrer que vous êtes
inquiet… Eh bien, ce n’est pas une idée reçue : les cheveux blanchissent
certes avec l’âge, mais aussi avec le stress. C’est ce que révèlent les
travaux de Bing Zhang et de ses collègues, de l’université Harvard et
de l’université de São Paulo. Les chercheurs l’ont prouvé en identifiant
les mécanismes précis provoquant ce blanchissement chez des souris de
laboratoire. Leur surprise ? Constater que cet effet passe par l’action
d’une partie du système nerveux, le système nerveux sympathique.
Jusqu’à maintenant, aucune étude scientifique n’avait pu confirmer –
ni infirmer – l’observation populaire selon laquelle le stress, qu’il
soit chronique ou ponctuel, augmente rapidement la quantité de cheveux
blancs. Certes, on dit parfois que certaines personnes se sont fait des
cheveux blancs en une nuit, mais les analyses d’hormones du stress ou
liées au vieillissement ne suffisaient pas à rendre compte du phénomène.
Il a fallu, pour les chercheurs américains et brésiliens, réaliser
plusieurs expériences associant techniques comportementales,
pharmacologiques et génétiques de pointe.
Plus les souris sont stressées, plus elles blanchissent
L’équipe a testé trois types de stress sur des souris au pelage
initialement noir. Premier type de stress : l’exposition répétée à des
événements imprévisibles. Deuxième situation stressante : le confinement
et l’immobilisation dans des compartiments très étroits. Enfin, les
douleurs chroniques provoquées expérimentalement par l’injection d’une
molécule mimant l’effet brûlant du piment, et qui se fixe sur les
récepteurs des neurones sensoriels responsables de la transmission de la
douleur.
Ces trois sources de stress se sont toutes traduites par un
blanchissement du pelage des souris. Mais si les événements
imprévisibles et les séances d’immobilisation ne produisaient cet effet
qu’au bout de 4 ou 5 cycles de renouvellement du pelage (plusieurs
mois), il n’en fallait qu’un avec la douleur chronique : en
quatre semaines, le pelage des souris devenait complètement blanc…
De plus, en mesurant les concentrations sanguines de corticostérone
(l’équivalent du cortisol humain) et en noradrénaline, les principales
molécules sécrétées par les glandes surrénales en cas de stress, les
chercheurs ont constaté que plus les souris étaient stressées par la
douleur, plus elles blanchissaient.
Un épuisement des cellules souches
Mais pourquoi le poil devient-il blanc ? Ce qui confère à un poil sa
teinte foncée, c’est un pigment – la mélanine – produit par des cellules
pigmentaires appelées mélanocytes, contenues dans des amas cellulaires
situés sous la peau et nommés follicules pileux. Ces mélanocytes sont
issus de cellules souches logées dans de petites niches dans la peau et
les follicules. Lorsqu’un nouveau poil pousse, des cellules souches
sortent de leur logement et se transforment en mélanocytes. Elles
produisent alors la mélanine qui donne sa couleur au cheveu. Or, sous
l’effet de la douleur, Zhang et ses collègues ont constaté qu’après
quatre semaines, les follicules pileux des souris ne contenaient presque
plus de cellules souches. Même s’il y restait des mélanocytes, ces
derniers ne produisaient plus de mélanine car ils avaient terminé leur
maturation. De nouvelles cellules souches doivent donc se différencier
pour les remplacer et colorer les poils. Or, chez les souris stressées,
les cellules souches sont excessivement activées et se différencient si
vite qu’elles ne passent pas – ou pas assez longtemps – par la phase où
elles produisent la mélanine ; et elles meurent très rapidement. Ainsi,
les poils noirs tombés ne sont pas remplacés par des poils à mélanine
car les cellules souches maturent trop vite.
L’hécatombe des cellules souches
Quelle en est la cause ? La douleur et le stress provoquent la
sécrétion de noradrénaline dans le sang des souris, et les chercheurs
ont montré, par séquençage génétique des cellules souches de peau, que
ces dernières possèdent à leur surface le récepteur ADRB2 qui réagit à
la présence de noradrénaline. Ainsi, dès lors que ce récepteur est
supprimé dans les cellules souches par des manipulations génétiques, les
cellules se différencient de façon tout à fait normale en mélanocytes
actifs, et les souris conservent leurs poils noirs, même soumises à des
stimuli douloureux.
Que fait le récepteur ADRB2 ? Il stimule une autre molécule
cellulaire, l’enzyme CDK, laquelle accélère le cycle de vie des cellules
souches. Dès lors, en bloquant l’action de CDK dans ces dernières, les
scientifiques ont aussi montré que les souris stressées avaient toujours
des poils noirs et leurs cellules souches…
Tout semblait donc clair : le stress provoque une augmentation
sanguine de la noradrénaline, majoritairement produite par les glandes
surrénales, qui elles-mêmes stimulent la différenciation des cellules
souches et diminuent la quantité de mélanine dans les poils. Sauf que…
en enlevant par chirurgie les glandes surrénales des souris, les
chercheurs ont eu la surprise de constater que la douleur provoquait
toujours le blanchissement de leur pelage, malgré des taux sanguins de
noradrénaline très faibles !
Alors, quelle autre source de noradrénaline existe dans l’organisme ?
Zhang et ses collègues ont pensé au système nerveux sympathique,
impliqué dans la régulation des fonctions vitales autonomes, comme la
respiration et le rythme cardiaque. Des nerfs de ce système se faufilent
dans tous les recoins de notre corps, et se mettent en action en cas de
stress pour permettre justement à l’organisme de réagir (par exemple en
fuyant ou en combattant), via l’accélération de ses fonctions
vitales. Or les fibres nerveuses sympathiques sécrètent aussi de la
noradrénaline, et leurs terminaisons arrivent justement tout près des
« niches » de cellules souches dans les follicules pileux des souris
(car ce sont elles qui activent aussi les muscles horripilateurs, qui
font se dresser les poils en cas de stress intense ou de peur).
Le blanchissement des cheveux, c’est nerveux !
Il fallait donc bloquer la neurotransmission de noradrénaline par les
fibres sympathiques, pour voir si cela neutralisait le blanchissement
des poils. Ce que l’équipe fit à l’aide d’un antihypertenseur, la
guanéthidine, chez des souris ayant reçu la molécule douloureuse
utilisée dans la première phase de l’étude. Résultat : cette fois, les
animaux ont conservé un pelage d’un noir profond. Voilà la boucle
entièrement bouclée… Le stress stimule donc le système nerveux
sympathique, lequel sécrète de la noradrénaline, qui vide le stock de
cellules souches produisant normalement les pigments des poils.
L’injection de noradrénaline directement dans des cellules souches de
mélanocytes humains a également activé l’enzyme CDK et accéléré le
cycle de vie des cellules. Reste à vérifier que nous disposons aussi de
terminaisons nerveuses sympathiques à proximité de nos poils et cheveux.
Selon les chercheurs, c’est fort probable, car il s’agit d’un mécanisme
hautement conservé au cours de l’évolution : les céphalopodes, comme le
calmar, la pieuvre et la seiche, utilisent l’activité de leurs neurones
pour stimuler des cellules pigmentaires et ainsi changer rapidement de
couleur (pour se camoufler ou communiquer). Quant à notre peau, si elle
ne blanchit pas en cas de stress (par exemple chez les personnes à la
peau foncée), c’est probablement parce que les terminaisons du système
sympathique n’innervent pas les mélanocytes de la peau, mais seulement
ceux des follicules pileux…
J'ai eu des cheveux blancs après avoir lu tout ceci...
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