mercredi 20 mai
Pour réussir des ricochets, il faut lancer
le plus fort possible le galet d'une hauteur adéquate et lui conférer un
mouvement de rotation stabilisateur.
L'art du ricochet
Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik|
01 février 2003|
POUR LA SCIENCE N° 304|
6mn
En 1992, une pierre a
rebondi 38 fois à la surface d'un lac : l'Américain Coleman McGhee
venait d'établir le nouveau record du monde de ricochets. En 2002, le
physicien français Lyderic Bocquet, sensibilisé par son fils, a analysé
la physique du ricochet et nous nous inspirerons de son travail pour
étudier comment une pierre «rebondit» sur l'eau. Nous examinerons ainsi
les facteurs de la réussite : la vitesse de lancer, l'inclinaison du
galet et la vitesse de rotation. Peut-être pourrons-nous battre le
record?
Revenons au caillou : quelle force
fournit le ressort pour qu'il rebondisse? La pratique du ricochet montre
qu'il faut lancer le caillou avec une vitesse horizontale assez élevée,
en l'inclinant légèrement vers l'arrière. Si le lancer est effectué au
niveau de la surface de l'eau, le caillou glissera quelques instants sur
l'eau, tel un skieur de ski nautique, ralentira, puis sombrera : plus
dense que l'eau, il ne peut flotter, car la poussée d'Archimède ne
compense pas son poids. C'est une force de portance similaire à celle
qui s'exerce sur une aile d'avion qui permet la sustentation, force
proportionnelle au produit de la masse volumique de l'eau par la surface
en contact de l'objet avec l'eau et par le carré de sa vitesse. Le
coefficient de proportionnalité est proche de 0,5 pour les objets plats.
En exprimant que cette force de portance est égale au poids, on
détermine l'ordre de grandeur de la vitesse horizontale minimale qui
permet la sustentation d'un objet sur l'eau.
Pour marcher sur l'eau…
… il faut ne pas être trop lourd et se
déplacer très vite. Le basilic, un lézard Sud-américain, court à la
surface de l'eau, mais il ne pèse qu'une centaine de grammes. Qu'en
est-il pour un homme de 80 kilogrammes souhaitant pratiquer le barefoot,
c'est-à-dire faire du ski nautique avec pour seul ski la plante de ses
pieds. Si la surface des deux pieds est de 350 centimètres carrés, on
trouve une vitesse de l'ordre de 25 kilomètres à l'heure. En réalité, la
vitesse requise est plus proche de 60 kilomètres à l'heure. Notre
estimation fournit donc un ordre de grandeur de la vitesse à un facteur
deux près. Vous ne pourrez marcher sur l'eau qu'en étant tiré à grande
vitesse par un bateau.
Qu'en est-il d'un caillou, assez lourd,
de 200 grammes et dont la forme est celle d'un disque aplati de 5
centimètres de rayon. L'évaluation donne une vitesse minimale de
seulement 2,5 kilomètres à l'heure. Si la vitesse est plus grande, la
force de portance devient supérieure au poids et le caillou rebondit.
Lorsque la pierre, légèrement inclinée, affleure la surface de l'eau,
seul son bord postérieur est en contact. La surface de contact, et donc
la force de sustentation, est très faible. À mesure que la pierre
inclinée s'enfonce dans l'eau, la surface de contact augmente et la
portance aussi : la force de portance est ainsi proportionnelle à
l'enfoncement de la pierre dans l'eau. L'eau se comporte ainsi comme un
ressort dont la raideur est proportionnelle au carré de la vitesse
horizontale. Rebondissant sur ce ressort, le galet repart alors en sens
inverse pour rejaillir hors de l'eau.
Lorsque la vitesse est grande, ce
mécanisme est efficace pour faire rebondir n'importe quel objet sur
l'eau. Les troupes alliées ont utilisé cette propriété lors de la
Seconde Guerre mondiale pour détruire un barrage sur la rivière Mohne
dans la vallée de la Ruhr. Il était impossible d'utiliser un
bombardement classique, car la destruction de l'édifice nécessitait une
explosion en profondeur sous l'eau et contre la paroi. Quant aux
torpilles, elles auraient été arrêtées par les filets de protection mis
en place par la Wehrmacht. La solution trouvée par l'ingénieur anglais
Barnes Wallis a été de faire ricocher des bombes cylindriques sur la
surface de la retenue jusqu'à la paroi du barrage. Ces bombes étaient
lâchées à une hauteur de 18 mètres par des avions volant à une vitesse
de 400 kilomètres à l'heure. D'une masse de plus de quatre tonnes, ces
bombes rebondissaient plusieurs fois sur l'eau, en s'enfonçant à peine
tant le ressort hydrodynamique était puissant. Elles passaient au-dessus
des filets de protection et parcouraient ainsi les quelque 400 mètres
les séparant du barrage. Butant contre la paroi, elles coulaient alors
le long du barrage et explosaient quand elles atteignaient le fond.
Il faut stabiliser l'angle du galet
Avec une vitesse suffisante et une
orientation contrôlée, nous avons fait rebondir le galet. Pour s'assurer
que les rebonds ultérieurs se passent dans les mêmes conditions, nous
devons être sûrs que chaque fois la pierre se présentera sur l'eau
toujours pratiquement à plat. Durant le rebond, la force hydrodynamique
s'exerce essentiellement sur la partie postérieure de la pierre et cette
dernière aura donc tendance à basculer vers l'avant. Pour éviter ce
mouvement, le lanceur met alors à profit l'effet gyroscopique qui peut
se résumer ainsi : lorsqu'un objet est en rotation rapide, il est plus
difficile de le faire changer d'orientation que lorsqu'il ne tourne pas.
En effet, observons une toupie. Si
celle-ci est posée sur le sol légèrement incliné et immobile, elle
bascule dès que l'on la lâche. Donnons-lui maintenant un lent mouvement
de rotation sur elle-même : elle bascule toujours, mais beaucoup moins
vite qu'auparavant. Faisons-la enfin tourner très rapidement. Elle ne
bascule plus et reste posée sur sa pointe, défiant la pesanteur. En
adaptant l'analyse de la toupie au problème du ricochet, il est possible
de déterminer la vitesse minimale de rotation permettant de stabiliser
l'orientation de la pierre. Pour notre disque aplati, cette vitesse
minimale de rotation est égale à la racine carrée de l'accélération de
la pesanteur divisée par le rayon de la pierre, soit deux tours à la
seconde pour une pierre de cinq centimètres de rayon.
Pour battre le record, il faudra enfin
vaincre l'obstacle le plus redoutable, les pertes d'énergie. En effet,
la pierre subit de l'eau non seulement la force de portance, mais aussi
une force de traînée qui la ralentit progressivement. Analysons d'abord
la situation où la pierre glisse sur l'eau : comme pour une aile
d'avion, la force de traînée est proportionnelle à la portance.
Toutefois, alors que pour un planeur, la traînée ne vaut qu'un vingtième
de la portance, dans le cas de la pierre, les deux forces sont à peu
près égales. Puisque la portance compense le poids, la traînée est aussi
égale au poids : tout se passe comme si nous avions à l'horizontale une
situation équivalente à celle que nous aurions si nous avions lancé la
pierre… verticalement : l'accélération est constante, opposée à la
vitesse et son amplitude est égale au poids de la pierre. La distance
parcourue par la pierre est donc égale à la hauteur qui serait atteinte
en lançant la pierre vers le haut avec la même vitesse initiale.
Ne lancer ni trop haut ni trop bas
Qu'en est-il maintenant du rebond? La
force de portance est nulle quand la pierre est en l'air et supérieure
au poids durant le rebond. Le caractère élastique du choc assure
néanmoins qu'entre deux rebonds la pierre revient toujours
approximativement à sa hauteur initiale : la force de portance a donc
exactement compensé en moyenne le poids, comme dans le régime de glisse.
La force de traînée est ainsi identique en moyenne à celle qui existe
en situation de glisse. Cela signifie que la distance parcourue par la
pierre avant de sombrer ne dépend que de la vitesse horizontale initiale
et pas du nombre de rebonds. Comme la durée totale de suspension est
invariable, il est essentiel de lancer la pierre à l'horizontale et le
plus bas possible. Si on la lance de trop haut ou si on l'envoie dans
l'eau trop inclinée, elle rebondira haut : les rebonds seront alors très
espacés et la distance limite sera atteinte en peu de rebonds. Au
contraire, plus le lancer sera horizontal et proche de l'eau, plus les
rebonds seront de faible amplitude et se succéderont rapidement et, pour
une distance donnée, le nombre de rebonds sera d'autant plus élevé.
En réalité, le choc avec l'eau n'est pas
parfaitement élastique : à chaque rebond, la hauteur de rebond diminue.
Comme pour une bille que l'on laisse rebondir sur le sol, la pierre va
s'arrêter de rebondir au bout d'un temps fini : les rebonds cessent
quand la hauteur de rebond devient inférieure à l'enfoncement de la
pierre. Si le temps au bout duquel les rebonds s'arrêtent est inférieur
au temps que la pierre met pour s'arrêter, celle-ci poursuit son chemin
en glissant avant de s'enfoncer : c'est ce que l'on observe si l'on
lance la pierre très bas. Ainsi, l'idéal est d'ajuster la hauteur de
lancer de manière à ce que ces deux temps coïncident.
Récapitulons : une vitesse horizontale
la plus élevée possible, un petit mouvement de rotation, un lancer à
plat d'une hauteur convenablement choisie. En suivant ces conseils,
peut-être pourrons-nous atteindre le record mythique non homologué d'un
nombre infini de rebonds! Lors d'une compétition un jour de brume, l'une
des pierres est allée se perdre dans le brouillard. En l'absence
d'information supplémentaire, le jury a déclaré vainqueur le lanceur en
lui attribuant un score infini. Par sagesse, ce record n'a toutefois pas
été homologué par les instances de ce sport.
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