Mars 2021
Matriarcat
Au Kenya, des villages de femmes, créés par les femmes pour les femmes...
Près du Mont Kenya à 300 km au nord de Nairobi, des femmes Turkana et
Samburu se sont regroupées pour fonder Tumai, un village interdit aux
hommes, à l'exception des enfants mâles jusqu'à leur passage à l'âge
adulte, vers 16 ans. Les femmes ont choisi de vivre entre elles. Depuis
2001, elles s’attachent à construire une vraie démocratie participative,
100 % féminine. Pour avoir la paix, loin des lourdeurs machistes du
pays. Officiellement constitué en association de femmes, ce village est né des difficultés rencontrées par de nombreuses
épouses divorcées, répudiées ou battues par leurs maris. Cette
communauté si unique, d'un type tout à fait nouveau, où les femmes ont
appris l'autosuffisance : commerce, rituels sacrés y compris les tâches
normalement attribuées aux hommes, allant de la construction des cases à
la chasse. Toutes les décisions importantes sont votées à la majorité
des voix. Elles ont par exemple interdit la pratique de l'excision. Plus
récemment, elles ont été invitées à Bukavu dans le sud-Kivu, afin de
partager leur model de village, auprès de femmes congolaises victimes de
viols pendant la guerre.
A Tumai, au Kenya, les femmes ont choisi de vivre entre elles. Depuis 2001, elles s’attachent à construire une vraie démocratie participative, 100 % féminine. Pour avoir la paix, loin des lourdeurs machistes du pays.
Une fois par mois, les dames de Tumai se rendent dans la montagne pour pratiquer l’un des plus vieux rituels de l’ethnie samburu. En habits de fête, le groupe verse dans la rivière sacrée du lait de chèvre. Et chante pour se concilier les « esprits de la nature », faire venir la pluie et sauvegarder le bétail du village.
Lors de la sécheresse de 2003, les femmes de Tumai avaient perdu toutes leurs vaches. Elles possèdent désormais des troupeaux de chèvres, et ont édifié, autour de leurs huttes en terre et bouse séchée, des fortifications faites de branches d’acacias. Le but : protéger les animaux, et elles-mêmes, des visites nocturnes. Celles des hyènes curieuses, des lions chapardeurs ou… des hommes empressés.
Depuis sa création en 2001, la communauté des femmes de Tumai pratique une démocratie 100% « participative ». Vendre une poule, acheter des cotonnades à Archers Post, la bourgade voisine, envoyer des enfants à l’école primaire… Toutes les décisions qui engagent l’ensemble des habitantes sont soumises, après débats et lors de l’assemblée générale, au vote à la majorité et à main levée.
Les femmes de Tumai ne sont pas des Amazones pures et dures. Les relations sexuelles existent, mais sont vécues à l’extérieur du village.
Sous un ciel immense, la savane est plate et sèche comme un coup de trique. Pour les habitantes de Tumai, c’est l’horizon de la liberté.
La fête, loin de la violence des hommes… Lors des rituels, certaines femmes se couvrent le visage d’une graisse rougie par des pigments.
Autrefois créés avec des bijoux venus d’Inde via Zanzibar, les colliers sont aujourd’hui faits de perles en plastique et de fils de fer.
Après avoir effectué tous les travaux agricoles du village, les citoyennes de Tumai font leur toilette au bord de la rivière.
Chili (avec l’un de ses frères) utilise un téléphone portable relayé par l’antenne militaire britannique située à proximité.
A leur arrivée, certaines femmes du village percevaient Tumai comme une retraite provisoire. Beaucoup y sont restées pour offrir une nouvelle vie à leurs filles. L’excision a été bannie de la communauté. Toutes les adultes ont connu cette coutume qu’elles considèrent comme barbare.
Toutes les femmes de Tumai en ont fini avec leurs histoires personnelles. La règle a été adoptée à l’unanimité : chaque candidate à l’intégration dans le village doit avoir divorcé.
A la tombée de la nuit, les femmes égorgent une chèvre en notre honneur. Le sang de la bête est censé donner de la force pendant deux jours.
La cuisson de la chèvre fait l’objet d’un cérémonial religieux. Réunies autour du feu, les femmes entonnent, en swahili, des chants d’espérance. Bien qu’officiellement chrétienne, leur spiritualité perpétue les croyances animistes de leurs ethnies. « Que la pluie apporte la joie et l’abondance. Que la nature nous prodigue ses richesses. » Reprises en cœur, les paroles montent dans la nuit.
Les enfants mâles doivent quitter Tumai à 16 ans. Ils ont le droit d’y revenir pour rendre visite à leur mère ou y passer la nuit, mais ne peuvent y habiter tout au long de l’année. Seuls deux jeunes, âgés de 18 ans, restent au village où ils font office de gardiens. Leur mission : protéger la communauté, une fois la nuit tombée, des animaux sauvages de la savane.
Seule l’école primaire est assurée dans le village. Les enfants ne doivent partir en ville que pour suivre le reste de leurs études.
A l’écart des cases, des voix discordantes d’enfants s’échappent d’une bâtisse en forme de dôme végétal. A l’intérieur, le toit et les murs ajourés tamisent la lumière. Antonietta, 25 ans, fait répéter aux élèves des mots en anglais et en swahili. Assis en tailleur, les enfants lèvent les yeux puis tracent avec leurs doigts les lettres dans la terre sablonneuse. Chacun écrit puis efface son travail, d’un revers de la main.
Les familles fabriquent colliers et bracelets, statues de bois décoré, bijoux de bronze et de fer. Parfois, des touristes s’arrêtent dans la boutique qui marque l’entrée du village. Sur chaque vente, 90% de la somme recueillie vont à celle qui a créé l’objet et 10% sont versés à la caisse de la communauté pour financer des soins de santé ou des études secondaires pour les enfants.
Depuis les récentes émeutes de décembre 2007 au Kenya, les femmes de Tumai, qui vivent essentiellement de la vente de leur artisanat, se trouvent dans une situation désespérée. En effet, la situation instable du pays a découragé de nombreux touristes de visiter le pays. Sans eux, pas d’argent ni de nourriture.
Les femmes assument seules l’ensemble des charges de la vie quotidienne, y compris les tâches normalement attribuées aux hommes, comme la construction des cases ou la chasse. A Archers post, le village tout proche, les hommes parlent avec ironie des « lionnes de la brousse ». Pourtant, elles leur inspirent le respect.
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